Le 7 avril 2022, l’UNESCO publiait un rapport alarmiste pour évoquer le décrochage scolaire des garçons. Nous entendons apporter ici le contrepied.
Les faits sont connus. Les filles ont, du primaire au supérieur, de meilleurs résultats que les garçons. En 2006, les enquêtes internationales PIRLS[1] ont révélé que les filles sont plus nombreuses à maîtriser les compétences langagières de base (91% contre 85,6%). En 2008, L’État de l’école 2008 brisait ce mythe de la supériorité des garçons sur les filles en mathématiques. Depuis, les tendances se sont affirmées et creusées dans le sens observé : les filles réussissent mieux au brevet des collèges, au baccalauréat, obtiennent plus souvent un diplôme du supérieur, jusqu’à la licence. Différentes lois ont été votées qui se donnaient pour objectifs : 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat ; 95 % d’une classe d’âge au niveau CAP ou BEP ; 50 % des titulaires d’un diplôme supérieur. Ces objectifs sont atteints pour les filles, mais nous en sommes loin pour les garçons. Ces derniers redoublent davantage que les filles, tout au long de leur cursus. Les filles étudient plus longtemps que les garçons – ce qui est à mettre en balance avec les redoublements plus nombreux pour les garçons.
Le constat s’étend à l’observation des profils scolaires. Certains ont pu même écrire que les garçons sont responsables de la faiblesse des résultats français dans les évaluations internationales – un rapport de janvier 2008 sur l’évaluation internationale PISA de 2006 le signifiait depuis et ces observations n’ont jamais été démenties depuis. Les dispositifs conçus pour les élèves en difficulté, en rupture scolaire, accueillent plus de garçons que de filles. Les classes de SEGPA, les dispositifs de soutien accueillent plus de garçons. Il faut bien sûr relativiser ces affirmations, car les filles même en difficulté sont rarement orientées vers ces dispositifs du fait de leur comportement moins violent et moins perturbateur. Ajoutons que la supériorité scolaire des filles s’observe dans toutes les classes sociales. Depuis 1997, nous savons que la réussite féminine atténue les effets de l’origine sociale sur le cursus scolaire[2]. Et pour enfoncer le clou, évoquons ce rapport de la Cour des comptes qui, dès 2008, alertait : « la recherche d’un stage ou d’un contrat d’apprentissage apparaît toujours plus difficile pour les garçons que pour les filles. Les directeurs de CFA confirment ces difficultés pour certains publics à trouver une entreprise pour pouvoir entrer en apprentissage. » Le constat est sans appel : les garçons sont en France les naufragés du système éducatif.
Intéressons-nous maintenant aux causes de l’échec scolaire des garçons en France. Commençons par une conclusion lapidaire : les garçons consentent moins d’efforts que les filles pour réussir à l’école. Pourquoi ? Le partage entre facteurs biologiques et facteurs culturels soulève bien des polémiques. Naturaliser les écarts de performances observées permet d’accéder à quelques « poncifs » peu utiles au sujet qui nous occupe. Que les hommes aient un meilleur sens de l’orientation, que les femmes aient des compétences supérieures pour la verbalisation, est-ce déterminant pour expliquer la supériorité scolaire des filles ? Sans entrer dans les débats brûlants de la part de la nature et de la part de la culture, il convient d’observer que les qualités supposées masculines comme la représentation de l’espace, l’impulsivité et la compétitivité sont difficilement valorisables à l’école. Les gènes et les hormones orientent le développement du cerveau, et donc l’expression des compétences cognitives, mais les circuits neuronaux sont également construits au gré des parcours personnels, et sont tributaires de l’éducation reçue. La variabilité individuelle du fonctionnement cérébral invite à la prudence devant ces considérations biologiques.
Le rapport de l’UNESCO insiste sur les stéréotypes de genre et leurs implications pour expliquer le décrochage scolaire des garçons dans tous les pays dont les systèmes éducatifs ont été examinés. Les préconisations sont édifiantes : diriger les efforts « pour répondre aux défis mondiaux actuels par le biais de l’apprentissage transformateur, en mettant particulièrement l’accent dans toutes ses actions sur l’égalité des genres et l’Afrique ». Ce qui frappe aussitôt, c’est l’exceptionnelle distance que le lecteur même profane peut remarquer entre les constats élaborés par le rapport et les solutions recommandées. Qu’est-ce au juste que l’apprentissage transformateur ? Il s’agit d’un concept développé par Jack Mezirow[3] pour l’apprentissage des adultes. Il s’agit d’un procédé d’apprentissage qui prétend construire une interprétation nouvelle, revue et corrigée, sur la base d’une interprétation antérieure, d’un fait, d’un événement, d’un savoir, pour mieux orienter les actions futures en fait d’apprentissage. Plus spécifiquement, qu’est-ce que la « transformation du genre » ? C’est le processus par lequel l’éducation vient sonder, remettre en cause et modifier activement les normes de genre[4]. On lira donc, parmi les recommandations :
- créer des environnements d’apprentissage transformateurs du genre et inclusifs qui répondent aux besoins de tous les apprenants, ce qui implique de former le personnel enseignant à des pédagogies transformatrices du genre.
- mettre en œuvre une éducation complète à la sexualité en remettant en cause les normes de genre et les masculinités nocives.
Si d’autres recommandations font sens et même paraissent dignes de louange, nous nous attarderons ici sur ces deux exemples, car ils sont les plus saillants d’une cohorte de solutions proposées et toutes noyées du même jargon fétichiste. La vidéo promotionnelle du rapport n’échappe guère à cette obsession des méthodes transformatrices du genre. C’est à croire que les garçons sont les « laissés pour compte » des systèmes éducatifs parce qu’ils sont des garçons, parce que la « masculinité toxique » entraîne mécaniquement leur désintérêt pour l’école, et donc leur décrochage scolaire.
Il ne s’agit pas ici de mettre en cause les stéréotypes sexués. Nous contestons cependant l’idée qu’une solution à la tragédie masculine de l’école passerait par l’abrasement jusqu’à la négation de ces stéréotypes au moyen d’une rééducation à marche forcée de la société. Cette solution, nous semble irréaliste et dangereuse. Considérons un instant la « culture masculine de l’indiscipline ». Dans les années 1990, Georges Félouzis a montré[5] qu’il existe chez les garçons une culture de l’indiscipline, dont les causes étaient à chercher du côté de la socialisation sexuée qui valorise l’affirmation de soi et le non-respect des règles. Il a également montré qu’il n’y a pas de lien entre les performances scolaires et l’indiscipline des garçons, alors que l’indiscipline des filles est liée très directement à leurs résultats scolaires. En d’autres termes, l’attitude de défi à l’égard de l’institution observée chez les garçons touche les bons comme les mauvais élèves. Aussi, le sexe de l’enseignant distribue différemment les manifestations d’indiscipline : un professeur homme, dans la grande majorité des cas, réduit les perturbations à la portion congrue. Si nous suivions à la lettre les recommandations du rapport de l’UNESCO, nous perdrions de vue que l’apprentissage des codes comportementaux s’effectue entre pairs du même sexe[6]. Surtout, nous perdrions de vue ce que François Flahaut[7], en 2007, expliquait déjà : « le passage à la maturité, déjà bien plus tardif chez les garçons que chez les filles, est encore retardé par l’évolution de la situation économique et sociale ». L’âge de la majorité que la loi détermine et l’autonomie réelle de l’individu contribuent à faire de l’adolescence une étape de plus en plus floue. L’arbitraire législatif maintient chez les jeunes gens les travers de cet âge : les décisions importantes sont ajournées, le désir se fait dominant. C’est pourquoi le narratif construit sur l’indépendance, les responsabilités et les droits de la « jeunesse » résonne à la façon d’une boîte creuse. On exige des adolescents qu’ils deviennent matures de plus en plus tôt, mais ils restent jeunes de plus en plus tard : l’injonction est contradictoire, ses rejaillissements ont des effets dont on mesure assez peu la perversité.
Par ailleurs, c’est un ensemble de valeurs construites comme masculines qui sont aujourd’hui en crise et, plus précisément, qui souffrent aujourd’hui d’un discrédit généralisé. Les élèves décrits par l’instituteur Louis Pergaud, dans La Guerre des Boutons seraient tous condamnés et conduits devant les tribunaux[8]. Les violences qu’on disait autrefois juvéniles sont désormais inacceptables, intolérables, mais il n’en fut pas toujours ainsi et, d’une certaine façon, elles contribuaient à la formation de l’identité masculine. Ce n’est donc pas que les masculinités toxiques contribuent au décrochage scolaire des garçons, c’est que le genre masculin souffre de représentations négatives et que les garçons sont les victimes silencieuses de cette réorientation de l’imaginaire collectif. Cette évolution négative, loin d’encourager les garçons à s’investir à l’école pour réussir leur scolarité, contribue à développer des réactions d’enfermement dans des schémas comportementaux qui conduisent à l’échec scolaire, qu’on se refuse à analyser, parce qu’il est très commode d’y voir un « effet » de la masculinité essentiellement toxique.
Pour agir et peut-être sauver les garçons, cependant, nous considérons plusieurs pistes dont nous exposerons ici les grandes lignes. Ce rapport de l’UNESCO n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de papier que les ravis de la déconstruction alimentent sans relâche depuis longtemps. Il ne nous est qu’un prétexte pour exposer des pistes internes au système éducatif français. L’école doit réfléchir aux moyens de prendre en compte l’intériorisation de ces déterminismes sexués. Les garçons réussissent moins bien à l’école, peut-être parce que l’école ne leur réussit pas. Les enseignants perdent trop d’énergie à lutter contre le « trop-plein moteur » des garçons : en tentant de les obliger à renoncer aux nécessités de leur masculinité, ils mènent un combat stérile contre le sexe masculin. Or l’article L121-1 du Code de l’éducation ne pose pas la mixité scolaire comme un principe absolu. Les écoles, les collèges et les lycées « contribuent à favoriser la mixité » : saisissons l’invitation à réfléchir à cette orientation choisie au tournant des années 1970. Pourtant, séparer les enfants selon les besoins éducatifs propres à chaque sexe n’a rien d’une lubie réactionnaire ou d’une stupidité déconcertante. Temporaire ou optionnelle, comme nous l’observons dans d’autres pays, la non-mixité apporte une aide sur-mesure aux élèves comme aux enseignants au même titre que d’autres méthodes pédagogiques et procédés de différenciation. Il est évident que la création d’enseignements non-mixtes doit être précédé d’une réflexion pédagogique, pour limiter les effets de manche et les croyances stupides en quelconques slogans, pour séduisants qu’ils soient. Rappelons cela dit que la mixité n’avait à l’origine aucune visée pédagogique, et qu’elle fut instaurée pour répondre aux seules nécessités de la carte scolaire. On peut même considérer, depuis lors, que la mixité embarrasse l’école en dépit de tous les principes d’égalité défendus entre ses murs.
Une autre piste pour l’action institutionnelle serait la création d’outils statistiques pertinents et la diffusion des résultats d’enquêtes menées régulièrement. Les indicateurs sexués sont assez peu exploités dans le débat public, car dire que les garçons sont les victimes du système éducatif français paraît aller à l’encontre de l’idée admise aujourd’hui que la société serait patriarcale et ferait la part belle aux hommes contre les femmes. Ils seront utiles pour la sensibilisation du public et plus particulièrement pour la sensibilisation des enseignants qui, bien souvent, ignorent ce problème et communient, avec tous les autres, dans l’idée que les filles sont les premières victimes des stéréotypes sexués. On comprend mieux pourquoi les deux préconisations du rapport de l’UNESCO sont dérisoires et même ineptes, quand il faudrait plutôt encourager les acteurs de l’institution scolaire à créer des situations les moins désavantageuses pour un groupe sexué par rapport à l’autre sans considérer qu’un groupe sexué serait, du fait de son sexe, cause des dysfonctionnements du système. Les situations de coopération entre élèves peuvent aider à la prise en compte de l’intériorisation des stéréotypes sexués chez les élèves, mais les enseignants les premiers devraient se soucier d’adopter toujours l’attitude la plus adéquate en présence des élèves et dans leurs pratiques pédagogiques ou disciplinaires. Aider plus particulièrement les garçons s’impose, quand les différences de traitement, pour l’heure, profitent surtout aux filles.
Ainsi, les rapports différenciés au savoir selon les sexes sont à prendre en compte. Les filles et les garçons ne partagent pas les mêmes goûts, bien souvent, ni les mêmes attitudes ou les mêmes capacités au même âge. Il ne s’agit pas de proposer un programme scolaire à la carte, mais plutôt d’orienter l’approche des points des programmes, par les activités proposées, pour susciter l’intérêt de tous, y compris des garçons ; cela suppose de privilégier les goûts communs aux filles et aux garçons. Plusieurs angles d’approche d’un même sujet, d’une même thématique sont toujours envisageables, alors il s’agit de ne pas valoriser un sexe plutôt qu’un autre. C’est d’autant plus vrai au collège et au lycée où la construction de l’identité personnelle se fait plus imposante. Certaines disciplines pourraient alors comporter quelques heures de cours séparés, où garçons et filles se retrouveraient entre pairs. Cette pratique est courante en Europe, pour la biologie, la physique, le sport en Allemagne. L’objectif de cette pratique différenciée est de répondre aux intérêts des filles et des garçons : même destination, chemins différents. C’est d’autant plus pertinent que ces modalités permettent de mieux appréhender la totalité de la classe.
Une pédagogie qui s’appuierait sur l’étude des déterminismes de genre permettrait ainsi d’endiguer l’échec scolaire des garçons. Sur ce terrain, le sexe de l’enseignant doit également faire partie de la réflexion pédagogique. Il faut veiller à ce que les enseignants au collège ne soient pas exclusivement des femmes, pour offrir aux garçons des modèles d’identification en un temps crucial où se joue le rapport le plus épineux à l’institution scolaire et l’orientation. Cette dernière matière constituerait à elle seule l’objet d’une analyse. Restons toutefois sur le terrain de la construction identitaire que l’école vient contrarier chez les garçons parce qu’elle exige d’eux qu’ils se conforment à des modèles inatteignables. Au contraire, si l’école reprenait à son compte les étapes d’un authentique parcours initiatique, si elle travaillait avec les élèves à la compréhension des étapes qui jalonnent l’entrée progressive dans l’âge adulte, alors elle aiderait ces élèves, et surtout les garçons qui sont plus en difficulté de ce point de vue, à mieux entrer dans cet âge avec tout ce que cela implique de responsabilité et de maturité. Pour n’en dire qu’un mot, le passage à l’âge adulte a perdu tous ses symboles, toutes ses cérémonies, ce qui contribue à l’intérioriser, à l’invisibiliser, à nourrir la crise d’identité des jeunes, surtout des garçons que la biologie ne vient guère bousculer, à la puberté, comme elle vient bousculer les filles.
Enfin, on ne peut tout à la fois déplorer la toxicité de la masculinité sans considérer et négliger la part importante du regard de la société qui vient en grossir les traits et les ombres. Les garçons à l’école ont peut-être des tendances plus développées à la violence, à la transgression, mais il ne faut pas oublier que la société elle-même s’est faite plus intolérante aux risques de la violence et de la transgression dans l’école. Les exigences contestables du risque zéro[9] ont fait disparaître de l’école une quantité importante d’activités où les garçons trouvaient l’exutoire bienvenu à leur « trop-plein moteur » et le terrain de croissance de leur expression identitaire. Une marée de papier a envahi les établissements scolaires et l’excès de la réglementation empêche désormais les randonnées, les sorties en vélo, les baignades, le camping en pleine nature, bref, toutes activités utiles pour aborder la prise de risque, aller en quête d’aventures et de fortes sensations, toutes choses utiles au travail et à l’acquisition de la maturité. Cette disparition progressive n’a-t-elle pas d’ailleurs eu pour conséquence imprévue d’encourager la déresponsabilisation des adolescents et des personnels de l’éducation nationale ? Ces activités physiques constituaient un bon moyen d’éduquer les enfants à la gestion calculée des risques et des dangers, en fonction de règles établies et acceptées par eux. Pour éviter quelques accidents, on prive l’adolescent de ces rites initiatiques qui le préparent à accepter les responsabilités accompagnant l’autonomie.
Les conséquences fâcheuses sont pourtant observables. Si tout est interdit, pour des raisons de sécurité, alors la transgression de la règle devient l’unique moyen de se dépayser, et cette pratique se banalise. On observe d’ailleurs que les jeux dangereux entre élèves se multiplient partout où la gestion de la discipline scolaire, dans la cour de récréation, se veut la plus prohibitive. C’est alors un paradoxe qui se dévoile à nos yeux : au nom du risque zéro, l’école devrait judiciariser le moindre incident, la moindre querelle, empêcher les expressions de l’agressivité masculine, ne surtout pas leur donner l’occasion de s’exprimer où elles ne feraient de mal à personne, et ce faisant l’école contribue à produire ce stéréotype de la masculinité toxique, dont les premiers à souffrir sont les garçons, puisqu’ils sont immédiatement frappés d’opprobre et de suspicion. Si nous devions conclure, nous dirions que le rapport de l’UNESCO, s’il était suivi d’effets en France, viendrait aggraver la situation qu’il prétend dénoncer, et à laquelle il prétend apporter des solutions.
Le rapport de l’UNESCO : suivre ce lien.
[2] Le redoublement au cours de la scolarité obligatoire : nouvelles analyses, mêmes constats, 2005.
[3] Biasin, Chiara. « L’apprentissage transformateur : état des lieux et portée heuristique d’un construit en développement », Phronesis, vol. 7, no. 3, 2018, pp. 1-4.
[4] https://www.unicef.org/media/104811/file/Gender-transformation-technical-note-2019-French.pdf ; on notera que ce document précise que les normes de genre qu’il convient de revisiter sont à l’avantage des garçons.
[5] Felouzis, G. (1990). Filles et garçons au collège : comportements, dispositions et réussite scolaire en sixième et cinquième. [Thèse de doctorat, Université de Provence] http://www.theses.fr/1990AIX10039
[6] Zaouche Gaudron, Chantal. Le développement social de l’enfant. (du bébé à l’enfant d’âge scolaire). Dunod, 2010.
[7] Cité dans : Auduc, Jean-Louis, and Cécile Rivière. Sauvons les garçons ! Descartes & Cie, 2009.
[8] Rothé, Bertrand. Lebrac, trois mois de prison. Seuil, 2009.
[9] Costa-Lascoux, Jacqueline. L’humiliation Les jeunes dans la crise politique. L’Atelier, 2008.